Pourquoi les docteurs quittent-ils la recherche alors que le marché n'a jamais eu autant besoin d'eux ?
Alors que l'Europe fait face à une pénurie massive de talents STEM, un paradoxe persiste : nombre de doctorants quittent la recherche faute de visibilité sur leurs débouchés. Comment expliquer ce décrochage au moment même où les compétences scientifiques n'ont jamais été aussi recherchées ?
Un marché en enquête des talents scientifiques
Des passerelles entre recherche et industrie
L'ère du spécialiste polyvalent
STEM – pour Science, Technology, Engineering and Mathematics – désigne l'ensemble des disciplines scientifiques et techniques qui constituent le socle de l'innovation européenne. Et ces disciplines sont en crise de recrutement. L'Europe manque aujourd'hui de 2 millions de professionnels dans ces domaines, selon la Commission européenne. Les services professionnels, scientifiques et techniques connaîtront une croissance de 17,3% d'ici 2030, soit 2,6 millions d'emplois supplémentaires à pourvoir.
L'illustration présente la croissance nette potentielle de l'emploi pour la période 2018-2030 dans un scénario d'automatisation intermédiaire, en millions, d'après les statistiques de McKinsey & Company.
Pourtant, un nombre significatif de doctorants abandonnent leur thèse avant la soutenance. Parmi ceux qui l'obtiennent, beaucoup quittent définitivement le secteur scientifique. Ce paradoxe révèle une déconnexion profonde entre la formation doctorale et les réalités du marché du travail : les doctorants STEM, formés à l'excellence scientifique, méconnaissent souvent les opportunités qui s'offrent à eux dans le secteur privé, où leurs compétences sont pourtant activement recherchées.
Ce constat n'est pas nouveau. Dès les années 1970, Bernard Gregory (sur la photo, il se trouve au milieu), physicien français et ancien directeur général du CERN (1966-1970), portait déjà une vision révolutionnaire : celle d'une recherche connectée au monde économique et social. C'est dans cet esprit que l'Association qui porte son nom fut fondée en 1980. Depuis plus de 40 ans, l'ABG démontre que le doctorat n'est pas une voie sans issue, mais un tremplin vers des carrières diversifiées. Aujourd'hui, face à l'ampleur de la pénurie STEM, cette conviction est plus pertinente que jamais.
Mais alors, comment expliquer que les entreprises peinent à recruter précisément les profils que les universités forment en nombre ? La réponse tient en trois défis majeurs : une méconnaissance des opportunités réelles du marché, un cloisonnement persistant entre recherche et industrie, et une évolution des attentes des employeurs vers des profils plus polyvalents.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon le rapport McKinsey « A New Future of Work » (2024), la demande de professionnels STEM connaîtra une croissance de 17 à 30% entre 2022 et 2030. Plus frappant encore, 80% des PME européennes déclarent peiner à recruter des talents scientifiques et techniques (Eurobarometer 2023).
Cette tension sur le marché de l'emploi concerne tous les niveaux de qualification, mais elle est particulièrement aiguë pour les profils doctoraux.
Cette demande se concentre dans des secteurs stratégiques pour l'avenir européen. Les technologies propres, portées par le Green Deal et l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, créent une demande massive en ingénieurs environnementaux et chimistes verts. L'intelligence artificielle et l'informatique quantique absorbent data scientists et chercheurs en machine learning aussi vite que les universités peuvent les former. La biotechnologie et la santé digitale, avec une croissance projetée de +12,9%, recherchent des experts en R&D pharmaceutique et bioinformatique. Quant à la cybersécurité, à l'aérospatial et à la robotique avancée, ces secteurs offrent des perspectives de carrière que peu de doctorants connaissent. Or, ces débouchés s'étendent bien au-delà de la recherche académique traditionnelle. Les entreprises recherchent des docteurs pour des fonctions variées : R&D industrielle, conseil scientifique, data science, management de l'innovation, voire création de start-ups deep tech. Cette diversité de carrières possibles reste pourtant largement invisible pour les doctorants, enfermés dans une vision qui réduit leur avenir à un poste académique ou à l'échec.
L'illustration présente le changement net prévu de la demande de travail pour l'UE et les États-Unis dans un scénario rapide/moyen 2022-2030, d'après l'analyse de McKinsey & Company.
Comment, alors, recréer le lien entre ces deux mondes qui s'ignorent ? C'est précisément le rôle des écosystèmes d'innovation qui émergent en Europe.
Face à ce cloisonnement, de nouveaux écosystèmes de collaboration émergent sur le continent. La STEM Alliance, par exemple, réunit plus de 350 universités et 380 partenaires industriels majeurs – Cisco, Microsoft, Intel, Airbus Foundation. Ce consortium a déjà contribué à la création de plus de 240 start-ups issues de la recherche, démontrant qu'une collaboration structurée entre académie et industrie peut porter ses fruits.
L'Institut Européen d'Innovation et de Technologie (EIT) va dans le même sens avec son initiative Deep Tech Talent, qui a formé plus d'un million de personnes dans les domaines technologiques de pointe. Ses neuf Knowledge and Innovation Communities (KICs) canalisent plus de 3 milliards d'euros entre 2021 et 2027 vers l'éducation entrepreneuriale et la collaboration industrie-recherche.
L'Union européenne elle-même multiplie les programmes de soutien. Horizon Europe dispose d'un budget de 95,5 milliards d'euros pour la recherche et l'innovation. Les Marie SkÅ‚odowska-Curie Actions financent bourses doctorales, réseaux de recherche et échanges de personnel entre secteurs. Le Digital Europe Programme investit 1,3 milliard d'euros pour les compétences numériques et l'IA. Plus récemment, l'initiative Choose Europe for Science (500 millions d'euros, 2025-2027) vise à attirer les chercheurs internationaux sur le continent.
Ces dispositifs témoignent d'une prise de conscience institutionnelle. Mais ils ne suffiront pas à combler le fossé entre offre et demande si les profils eux-mêmes n'évoluent pas. Car les entreprises ne recherchent plus seulement des experts techniques – elles veulent des spécialistes capables d'innover hors du laboratoire.
Le marché du travail STEM a fondamentalement changé. Selon McKinsey, la demande de compétences sociales et émotionnelles augmentera de 11% en Europe d'ici 2030, tandis que celle des compétences technologiques progressera de 25%. Autrement dit, les entreprises ne veulent plus choisir entre expertise pointue et aptitudes transversales – elles exigent les deux.
Cette évolution est une opportunité pour les docteurs, dont la formation répond précisément à cette double exigence. Piloter un projet de recherche sur trois à cinq ans développe la gestion de projet et l'autonomie. Publier et présenter dans des conférences internationales forge la communication scientifique. Formuler des hypothèses et analyser des données complexes construit la pensée critique et la résolution de problèmes. Collaborer avec des équipes internationales apporte l'adaptabilité culturelle et linguistique.
L'illustration présente les compétences actuelles comparées aux compétences futures dans l'UE et aux États-Unis, en %, d'après les prévisions de McKinsey & Company.
Le problème n'est donc pas que les docteurs manquent de compétences – c'est qu'ils ne savent pas les valoriser dans un langage que les entreprises comprennent. Ils restent enfermés dans le jargon académique, incapables de traduire « j'ai soutenu une thèse sur la modélisation stochastique » en « je sais analyser des systèmes complexes et prendre des décisions en contexte d'incertitude ».
Dans un contexte où 12 millions de transitions professionnelles seront nécessaires en Europe d'ici 2030, cette capacité à se repositionner devient cruciale. Le docteur STEM, formé à l'apprentissage continu et à la recherche de solutions innovantes, possède naturellement cette adaptabilité. Encore faut-il qu'il en prenne conscience – et que les entreprises sachent la reconnaître.
L'illustration présente les évolutions professionnelles pour les périodes 2016-19 et 2019-22 ainsi que les transitions professionnelles anticipées 2022-30, dans les scénarios lent, rapide et intermédiaire, en moyenne annuelle, selon McKinsey & Company.
Le paradoxe des talents STEM ne se résoudra pas de lui-même. Il appelle une double prise de conscience.
Côté entreprises, il est temps de reconnaître la valeur du doctorat. Cela passe par des gestes concrets : valoriser explicitement ce diplôme dans les offres d'emploi et les grilles salariales, développer des parcours d'intégration adaptés aux profils scientifiques, participer aux événements de networking académie-industrie comme la PhDTalent Career Fair. Ces profils apportent une profondeur d'analyse et une capacité d'innovation que peu d'autres formations permettent d'acquérir.
Côté doctorants, l'enjeu est de dépasser la vision de niche du chercheur académique pour adopter une vision stratégique du marché de l'emploi scientifique. Identifier les secteurs en croissance, valoriser son expertise dans un langage accessible, construire un réseau professionnel qui dépasse les murs du laboratoire : autant de compétences qui se travaillent, et que l'ABG s'attache à transmettre depuis plus de 45 ans.
Car c'est bien là le sens de la mission que Bernard Gregory avait imaginée : faire de la science un levier de carrière, pas une impasse. Nos formations professionnalisantes, nos événements de networking, notre accompagnement personnalisé visent tous le même objectif – donner aux doctorants la visibilité et la confiance nécessaires pour investir pleinement le marché STEM.
Les STEM sont l'avenir de l'Europe. Les docteurs STEM sont les architectes de cet avenir.
Avec les bons outils et une vision claire, chaque doctorant peut transformer son expertise en carrière durable. L'ABG est là pour y contribuer.