Paroles de docteur : Audrey Dominguez, docteure Cifre en littérature et chargée de communication
Audrey Dominguez est docteure en littérature et en langue française, spécialisée dans les sciences de l’imaginaire. Grâce à une convention Cifre, elle a eu l'opportunité de mener son doctorat en parallèle d'une activité salariée au sein de l'herboristerie Au temps des fées, à Grenoble. Découvrez son parcours, le regard qu'elle porte sur le doctorat et ses apports, ainsi qu'une série de conseils...
Auteur : Audrey Dominguez, PhD
Je suis docteure en littérature et en langue française, spécialisée dans les sciences de l’imaginaire, au sens d’ « étude des images, des représentations et des mythes qui participent à la formation de nos histoires individuelles et collectives ».
De janvier 2017 à décembre 2019, j’ai réalisé un doctorat Cifre (Convention Industrielle de Formation par la Recherche) et ai rédigé une thèse intitulée Histoires des noms des plantes : le Jardin Médicinal d’Antoine Mizauld, grâce au soutien de l’entreprise Herboristerie au Temps des fées et du laboratoire Litt&Arts de l’Université Grenoble Alpes (UMR CNRS 5316, UGA). J’ai soutenu cette thèse le 18 juin 2020 et l’ai mise en ligne au début de l’automne. Depuis septembre 2020, je suis chercheuse associée au laboratoire de Litt&Arts.
Parcours scolaire
Mon parcours scolaire est plutôt linéaire : baccalauréat littéraire, licences en lettres modernes et master de littérature, spécialité recherche – le tout à Grenoble. Dans ce parcours, 4 évènements ont eu un impact décisif sur le développement de mon projet professionnel :
- en terminale, j’hésitais à effectuer des études supérieures en littérature ou en anthropologie. J’étais déjà intéressée par les mots, les discours et surtout, l’impact qu’ils pouvaient avoir sur les individus. J’ai partagé mes réflexions avec mon professeur principal qui m’a fortement déconseillé d’entamer des études en anthropologie. J’ai suivi ses recommandations, un peu à contre cœur ;
- en licence, j’ai effectué un stage en librairie. En plus d’aimer étudier les livres, j’ai remarqué que j’appréciais participer à la vie d’une entreprise en lien avec le marché du livre et de la culture. De plus, j’éprouvais une sorte de satisfaction dans les travaux un peu physiques, comme aider à ranger, organiser, même remplir des cartons. Je pouvais expérimenter matériellement l’impact de mes actions sur des personnes ou des organisations ;
- en master, j’ai eu l’occasion de donner quelques cours à des élèves de licence pour de la méthodologie du commentaire et de la dissertation. Nouveau constat : j’aimais communiquer des informations, mais pas forcément dans une salle de classe ;
- pendant que la perspective de l’enseignement supérieur s’effaçait, ma directrice de mémoire, faisant partie du laboratoire Litt&Arts, m’a proposé d’envisager d’autres pistes professionnelles en lien avec mon sujet de recherche, l’imaginaire de la fleur de lys dans les textes médiévaux. Cela m’a amenée à contacter l’Herboristerie Au Temps des fées pour la réalisation de stages autour de l’imaginaire moderne du lys et des jardins médicinaux.
Le doctorat Cifre
Élaboration du projet Cifre
Les stages avec l’Herboristerie Au Temps des fées se sont si bien déroulés que nous avons décidé d’établir un projet de thèse Cifre avec le laboratoire Litt&Arts, afin de poursuivre les recherches sur l’imaginaire des plantes médicinales. Le doctorat CIifre était assez peu commun dans les disciplines issues des Sciences Humaines et Sociales, mais il devient de plus en plus fréquent ces dernières années. Cela étant posé, le laboratoire Litt&Arts, et plus particulièrement, un de ses centres de recherches, ISA (Imaginaire et Socio-Anthropologie… comme quoi, on finit souvent par revenir vers ce qui nous intéresse !), ont déjà accueilli des doctorants Cifre et proposent des champs de recherches pluridisciplinaires permettant l’épanouissement de nouvelles méthodologies et la mise en place de collaborations avec des entreprises, mais aussi des associations et des organisations culturelles. Le projet cifre a donc été bien reçu et encouragé au sein du laboratoire. Quant à la réception du projet en entreprise, le gérant de l’Herboristerie, docteur en pharmacie, était confiant sur les savoirs et les compétences qu’une personne en doctorat pouvait apporter au sein de sa structure. En plus de bien connaître nos manières de travailler, le bon déroulement de la Cifre a été favorisé par le partage de comptes-rendus et l’organisation de réunions tous les trimestres, au moins.
Missions au cours du doctorat
Mes principales missions étaient de produire une thèse sur l’imaginaire des plantes médicinales et d’accompagner le développement de la marque, Comme des tisanes, de l’Herboristerie Au Temps des Fées. Je m’organisais de manière à répartir 60 % de mon temps pour des recherches sur l’imaginaire des plantes médicinales et le développement de recettes végétales. Le reste du temps était dédié à la mise en place de la stratégie de communication digitale. Je prenais alors en charge la composition et la programmation de contenu sur les réseaux sociaux et participais à l’entretien du site boutique, notamment en mettant à jour les fiches-produits et en rédigeant des articles sur l’imaginaire des plantes et l’actualité de la marque.
Compétences principales acquises durant la thèse Cifre
Ma formation en littérature a permis de contribuer efficacement aux travaux de rédaction et de relecture pour la marque. De plus, je retiens trois compétences en tant que chercheuse qui ont été très utiles durant la période de mon contrat Cifre.
- Gérer plusieurs projets à la fois. Contrat Cifre oblige, j’ai écrit une thèse en littérature en 3 ans – ce qui est très court pour une thèse en sciences humaines et sociales. Cette contrainte temporelle m’a permis de développer des compétences organisationnelles pour la gestion simultanée de projets académiques et entrepreneuriaux. Cela implique aussi une bonne gestion du stress face aux éventuels imprévus.
- Proposer une analyse argumentée. En plus d’offrir une veille concurrentielle, j’ai établi des propositions contenant des arguments fiables pour établir des initiatives inédites ou pour remettre en cause certains desseins. En d’autres termes, j’interrogeais la fiabilité d’un projet et présentais des manières de le consolider, quand cela était possible.
- Éviter les questions sans réponse. On dit souvent qu’un chercheur, ou une chercheuse, est une personne qui vise plutôt à trouver de bonnes questions plutôt que de bonnes réponses. Cela étant dit, essayer de trouver une réponse à une problématique est aussi un des objectifs de la recherche. Issue d’une éducation littéraire, je me suis formée aux rudiments de la communication en lisant des livres relatifs à ce sujet, en contactant un professeur spécialisé, en consultant des articles en ligne et en expérimentant avec les divers canaux de la marque.
Dans les métiers de la communication, rester en constante veille technologique et concurrentielle est, à mon sens, primordial. Considérant la norme Afnor 26000, il est aussi essentiel de fournir une information responsable et bienveillante. Par ailleurs, mon contact avec l’entreprise a contribué au développement de nouvelles aptitudes en tant que chercheuse :
- S’adresser à une grande variété de publics. Grâce à ces trois années de doctorat Cifre, j’ai collaboré avec des personnes issues du milieu universitaire, du secteur privé, mais aussi de milieux associatifs, ainsi que des figures publiques. Ces interactions m’ont permis de façonner de nouvelles manières de communiquer et de transmettre au mieux une information.
- Ne pas avoir peur de mettre la main dans les plantes. La recherche en littérature est souvent représentée comme une activité solitaire, recluse dans une bibliothèque, entourée de piles de livres. Même si cela a pu constituer un bon nombre de mes journées, la thèse Cifre m’a aussi offert l’opportunité de participer à la création de mélanges végétaux, de goûter, de voir les prospects goûter, tester, réagir, de créer une communauté…
- Connaître les limites de la recherche. Toutes les informations scientifiques sont bonnes à connaître, mais elles ne sont pas toujours pertinentes à communiquer pour une entreprise et ses prospects. Dans certaines situations, j’ai noté qu’une conversation cordiale vaut parfois mieux qu’un argumentaire appuyé par des spécialistes. La forme est parfois plus importante que le fond.
Après le doctorat
Missions après le doctorat Cifre
À la fin du contrat Cifre, j’ai commencé à rechercher un emploi tout en préparant ma soutenance. Je candidate principalement à des annonces relatives à la communication digitale dans le secteur privé, mais continue mes recherches sur l’imaginaire des plantes médicinales. Au mois d’octobre, j’ai effectué une brève mission d’édition de texte médiéval. Je participe également aux activités de médiation scientifique pour l’Université Grenoble Alpes.
Développer son réseau
Malgré les conseils du label REI (Recherche, Entreprise et Innovation) de l’UGA, j’ai assez peu développé mon réseau durant la thèse Cifre, par manque de temps, mais aussi par inquiétude de révéler des informations aux entreprises concurrentes. Développer mon réseau était donc un de mes objectifs de 2020. J’ai pris contact avec des jeunes docteurs, des associations de jeunes chercheurs, des freelances et des agences de communication pour m’éclairer sur leurs activités et me conseiller sur le marché de l’emploi.
Quand on parle de développement de réseau, on pense assez facilement à contacter des personnes en poste dans de grandes entreprises, ou à se lancer à la recherche du mentor célèbre, mais on peut commencer ses démarches en voyant un peu plus petit et en prenant compte ses intérêts personnels. Par exemple, il est possible de demander à discuter avec le collègue d’un collègue, d’aller dans un colloque dans une ville université voisine… Si l’on n’est vraiment pas à la l’aise, on peut tenter un premier contact par mail, ou via les réseaux sociaux.
Il est aussi intéressant, à mon sens, d’enrichir son carnet d’adresses de personnes qui ont peu de choses à voir avec la recherche pour éviter l’entre-soi, et ainsi améliorer ses manières de penser et d’interagir. Il me semble toujours bon de l’entendre à une période où nos cercles professionnels et amicaux ont tendance à rétrécir...
C’est d’ailleurs avec ces deux derniers principes en tête que j’ai initié des projets, quelque peu hors des sentiers battus des pratiques académiques classiques. Cela m’a notamment conduite à présenter une conférence pour « une Saison dans les étoiles » de la Casemate, à Grenoble. De cet événement, je retiens deux retours qui me semblent importants à transmettre :
- les profils en SHS sont parfois considérés comme des acteurs des sciences molles et inexactes, mais la plupart des structures culturelles sont assez friandes de ces profils plus « humains » et sont curieuses de voir leurs projets vus sous un nouveau prisme. De plus, les publics peuvent rapidement délaisser d’éventuels préjugés et suivre avec bienveillance et entrain les communications ;
- dans la recherche académique, ce sont souvent l’âge, l’expérience et la qualité des publications qui font la renommée du chercheur. Cela étant posé, la jeunesse des chercheurs peut aussi constituer un élément décisif pour attirer de nouveaux publics et dynamiser des projets socio-culturels.
Aborder les entretiens pour un emploi
De tout ce que j’ai pu entendre et expérimenter durant des entretiens de recrutement, je retiens qu’il est préférable de mettre l’accent sur les compétences acquises plutôt que sur le doctorat et le sujet de la thèse. De plus, les soft skills sont souvent des éléments qui permettent de se distinguer et constituent des critères plus importants que ce que l'on imagine. Pour valoriser l’ensemble des compétences acquises, il est devenu indispensable de travailler son image, notamment sur les réseaux sociaux professionnels, de présenter ses activités sur plusieurs sites web de référence ou encore de créer sa propre page personnelle. Par ailleurs, il est toujours bon de répéter les réponses aux questions récurrentes et de construire des anecdotes professionnelles à restituer, quand l’occasion se présentera.
Cela étant dit, la meilleure histoire reste toujours celle que l’on établit avec ses recruteurs. Bien que l’on se représente souvent l’entretien comme un interrogatoire avec une seule partie qui dirige la conversation, l’entretien implique bien un échange entre deux personnes, au moins, pour convenir des manières d’établir une collaboration.
Au demeurant, le candidat est également en droit (cela est même attendu de lui) de poser des questions, de demander des précisions, mais aussi de rejeter une offre. La situation sanitaire que nous vivons est plus que délicate et les offres d’emploi sont moins nombreuses. Cependant, si cela est possible économiquement, mieux vaut attendre plutôt que s’engager dans des projets qui ne s’alignent pas avec nos ambitions et nos valeurs.
Devenir chercheur ou chercheuse en Sciences Humaines et Sociales (SHS) est souvent perçu comme une exigeante carrière, menant à peu de débouchés, et impliquant des périodes de précarité. Cet objectif ouvre néanmoins des champs de réflexions et d’actions capables de s’étendre au-delà des murs des universités. Les méthodologies des SHS participent à la structuration de projets innovants et attractifs, en mettant des mots sur les chiffres et en formulant des discours pertinents et émouvants, parfois plus convaincants qu’une démonstration mathématique.
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