Paroles de docteur : Solène Baffi, du doctorat en géographie à l'ONG Codatu
Passionnée par les questions de mobilité, de développement international, titulaire d'un doctorat en Géographie et aujourd'hui en poste au sein de l'ONG Codatu, Solène Baffi a répondu à nos questions afin de partager son parcours et quelques conseils.
À propos de votre poste actuel
À propos de la démarche réseau
À Propos de vous
Pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous expliquer ce qui a motivé vos choix ?
Je suis géographe de formation, et je travaille aujourd’hui dans une ONG, Codatu. Suite à mon Bac L, j’ai été en classe prépa littéraire pendant deux ans et j’ai ensuite rattrapé le cursus de géographie en L3 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. En effet, comme beaucoup, je m’étais orientée vers la classe prépa car je n’étais pas vraiment sûre de mon orientation post-bac. Dans mon cas, ce choix s’est révélé bénéfique : j’ai découvert la géographie sur les bancs du lycée Fénélon, un enseignement qui n’avait rien de comparable avec ce que l’on nous enseignait dans le secondaire. Or cette découverte a été une sorte de « révélation » ; cette discipline concentrait beaucoup de mes centres d’intérêts et m’offrait de nouvelles perspectives de compréhension du monde et de la société.
J’étais en effet particulièrement attirée par les questions de développement et de mobilité. C’est pourquoi je me suis orientée vers un Master portant sur les Pays émergents et en développement. Au cours de mes années de Master, j’ai consacré deux mémoires de recherche aux questions de mobilité et de ségrégation urbaine dans la ville du Cap, en Afrique du Sud. Les expériences de recherche réalisées ces deux années-là ont également fonctionné comme de petites épiphanies : l’immersion sur le terrain, les possibilités de compréhension d’une société aussi complexe grâce aux outils théoriques de la géographie, à la démarche de terrain en SHS, et grâce à la démarche éminemment sociale de la recherche … Tout cela m’a vraiment donné envie de poursuivre dans le cadre d’un doctorat. À la fin de mon Master 2, j’ai obtenu un financement qui m’a permis de le réaliser, avec là encore une dimension conséquente de travail de terrain en Afrique du Sud.
Après mon doctorat, j’ai passé deux ans au Cap, dans le cadre d’un post-doctorat à l’Université de Stellenbosch [lien vers son témoignage mobilité]. Cette expérience a été extrêmement riche, mais je me suis aussi heurtée, pour la première fois après plusieurs années de recherche, à de véritables barrières et à des frustrations. Malgré une expertise de près de 10 ans sur les questions de mobilité en Afrique du Sud, certaines choses échappaient encore à ma compréhension car je n’avais pas les outils pour les analyser, et dans le même temps, ma capacité d’action m’apparaissait très limitée : impossibilité d’obtenir des financements pérennes pour effectuer des recherches par exemple. J’ai donc décidé, à mon retour en France, de me réorienter et de me diriger vers un voie plus opérationnelle, toujours dans le secteur de la mobilité et du développement.
Pourquoi avoir choisi de faire un doctorat ? Qu’aviez-vous envie de faire après celui-ci ?
J’ai eu le luxe, dans mon parcours, de faire mes choix en fonction de mes envies et des opportunités qui me semblaient les plus stimulantes. Les années de Master ont été une vraie révélation de ce point de vue : la recherche, le travail de terrain, vivre à l’étranger pendant plusieurs mois… C’est aussi un moment où j’ai rencontré des doctorants, qui m’ont parlé de ce qu’ils faisaient, alors que je prenais énormément de plaisir à lire, analyser, rédiger. Je connaissais bien les métiers de l’ESR (Éducation Supérieure et Recherche), mais je ne les avais pas considérés très sérieusement jusqu’alors. Je voyais les choses plutôt à court terme et je savais qu’avec la géographie, différents types de métiers étaient envisageables : bureaux d’études, ONG, agence d’urbanisme etc. Je me suis mise à considérer cette option plus concrètement pendant le M2, encouragée par mes encadrants, et c’est l’obtention d’un financement doctoral qui a été déclencheur. J’ai alors rejoint un laboratoire de recherche extrêmement dynamique à Paris, également un milieu d’excellence. Tout au long du doctorat, ma volonté de devenir chercheur et enseignant-chercheur s’est affirmée, au point que je ne voyais plus tellement d’autre alternative. C’est finalement au terme de deux ans de post-doctorat et de deux campagnes de recrutement fatigantes et frustrantes que j’ai redécouvert qu’il existe un panel de professions beaucoup plus large, et que les postes de l’ESR ne sont clairement pas les plus enviables dans la société actuelle…
De quoi êtes-vous particulièrement fière dans votre parcours ?
Plus que de la fierté, j’ai eu le privilège de n’être guidée que par mes aspirations. J’ai avancé de façon assez pragmatique, en me laissant le plus d’options ouvertes tant que je n’avais pas d’idée précise d’un métier ou d’une compétence que je souhaitais acquérir. Mais à chaque fois que j’ai eu un « coup de cœur » ou une révélation, je me suis concentrée dessus et je me suis donner les moyens d’y arriver. Ma fierté serait donc plutôt d’avoir su écouter mes aspirations, et ne pas uniquement faire des choix rationnels ou fondés sur la peur de trouver un emploi. Encore une fois, je sais que cela reste un luxe et tout cela s’est parfois assorti d’une précarité non négligeable.
À propos de votre poste actuel
Codatu est une ONG, dont l’objectif consiste à promouvoir les mobilités durables dans les villes des pays en développement. C’est une petite association qui est aussi assez ancienne (elle a été fondée en 1980), et qui bénéficie d’un rayonnement international et d’un réseau très étendu. L’ONG est née d’une manifestation scientifique en 1980, et maintient cette activité à travers l’organisation de conférences internationales tous les deux ou trois ans. Les activités se sont depuis diversifiées.
Aujourd’hui Codatu organise des formations à destination d’experts sur les questions de transport et de mobilité, et aussi à destination d’étudiants à travers la création de deux Masters, à Rabat et à Lomé, en partenariat avec l’Université Senghor. Avec ces Masters, l’objectif est de former des cadres et des décideurs locaux qui soient en mesure de planifier des mobilités durables dans les villes du Sud.
Enfin, une partie importante des activités de l’association consiste à accompagner les projets de coopération internationale qui ont une composante transport ou mobilité, en coordonnant les activités, en construisant une vision stratégique ou en assurant l’évaluation.
Dans ce panel d’activités, mes responsabilités concernent principalement le volet scientifique de l’association, en particulier l’organisation de la prochaine conférence scientifique et la coordination des Masters. Je mène d’autres activités de formation plus ponctuelles, comme la mise en place d’un MOOC sur les mobilités urbaines durables en Afrique par exemple, et j’assure également une partie du suivi sur des missions d’assistance technique, notamment à Dakar et au Caire… J’ai donc des tâches très diversifiées au quotidien, et je ne m’ennuie jamais !
Parmi toutes les activités que vous menez, lesquelles vous plaisent le plus ? Et inversement, celles que vous appréciez le moins ?
J’effectue aujourd’hui des activités que j’aurais pu mener dans l’ESR. Étant en charge des volets formation et recherche de l’association, je continue à travailler avec des chercheurs, à lire des articles et réfléchir à des questions de fond. Je m’intéresse désormais aux questions de la formation et de l’insertion professionnelle dans plusieurs pays d’Afrique. J’acquiers également des compétences opérationnelles et relationnelles à travers des missions d’assistance technique dans le cadre de la coopération internationale.
J’aime donc particulièrement la diversité des activités que je mène au quotidien, et l’aller et retour constant entre théorie et pratique, qui pose en outre des questions éthiques spécifiques lorsqu’on travaille dans des pays en développement, depuis un pays du Nord.
Ce qui me déplaît c’est que finalement, comme partout, il faut bien souvent réfléchir en fonction des ressources que l’on a à disposition, et donc des financements. Mais là encore, même si c’est une contrainte, c’est également très formateur d’apprendre à organiser et coordonner des activités en fonction d’un budget, d’apprendre à chercher des financements et à construire des budgets prévisionnels.
Le doctorat est-il un atout pour votre métier et/ou votre structure ?
Je ne pense pas que le doctorat en soi soit un atout. Mes collègues ne sont pas nécessairement des docteurs et ils sont extrêmement compétents. Ce qui est un atout, c’est ma compréhension des jeux d’acteurs, une culture générale sur les questions qui constituent mon cœur de métier, et plus généralement sur les dynamiques des territoires et des sociétés contemporaines que j’ai acquis à travers la recherche, mais aussi dans les enseignements que j’ai dispensés pendant la thèse. La thèse nous habitue à absorber beaucoup d’informations et à les restituer, ainsi qu’à comprendre rapidement des enjeux et à développer une vision stratégique. Ces qualités facilitent grandement l’intégration dans un nouveau poste. Au quotidien, je pense qu’un de mes atouts aujourd’hui est la capacité d’analyse et de synthèse, et surtout la capacité à le faire rapidement et facilement. Enfin, si l’aisance dans l’écriture est un atout évident, le traitement de texte l’est aussi lorsqu’on rédige des livrables, notamment lorsqu’il s’agit de mettre en forme plusieurs centaines de pages (mettre en page soi-même une thèse de 500 pages est, de ce point de vue, une véritable compétence…).
Avez-vous observé des similarités entre vos activités actuelles et celles que vous aviez pendant votre doctorat ou postdoctorat ? Comment avez-vous pu transposer ces activités et compétences d’un secteur à l’autre ?
Une partie des compétences qui me sont utiles aujourd’hui ont été développées et mobilisées depuis plusieurs années. Il peut s’agir de faire de la veille scientifique, d’enseigner ou d’organiser des manifestations scientifiques et plus généralement d’analyser, synthétiser et communiquer des informations. D’autres compétences actuelles résultent de connaissances ou de savoir-faire acquis auparavant : alors que j’ai analysé les jeux d’acteurs dans le secteur des transports et de la mobilité depuis des années, j’interviens aujourd’hui au cœur de ce système. D’une façon plus générale, mon emploi actuel requiert des compétences plus opérationnelles. Or la compréhension de certaines questions de fond me permet de saisir plus rapidement certains enjeux et donc la prise de décision.
À propos de la démarche réseau
Quel rôle a joué votre réseau dans votre évolution en dehors du secteur académique ? Quel regard aviez-vous sur le secteur non-académique ? Qu’est-ce qui a changé dans votre perception ?
Clairement, je n’étais pas du tout familière du secteur non-académique. J’ai effectué un parcours purement « recherche », et je ne me suis jamais vraiment intéressée à ce qui existait hors de ce parcours. D’une part en raison de mon intérêt pour la recherche, mais aussi parce que le monde non-académique m’a peut-être finalement fait un peu peur. Cela peut être une jungle dans laquelle on n’a pas toujours tous ses repères ! Mais c’est finalement parce que certaines personnes se situent à l’interface entre ESR et secteur non-académique que j’ai eu envie de faire cette transition.
Tout d’abord, la rencontre avec des professionnels investis sur des questions de recherche de pointe m’a montré que l’ESR n’est pas le seul endroit pour faire la recherche. Ensuite, j’ai constaté que ces mêmes personnes étaient souvent plus à même de mettre en place des projets et d’agir, alors que la précarité de mes contrats de travail ne me permettait pas d’envisager des projets sur le long terme. Enfin, il m’est apparu que nombre de mes collègues et certains de mes encadrants avaient des liens forts avec le milieu non-académique, et que cela nourrissait leur réflexion. La simultanéité de ces considérations et situations m’a alors permis de changer mon regard.
À partir de là, j’ai cherché à rencontrer le plus de personnes possibles à l’interface entre recherche et travail opérationnel sur les questions de transport et mobilité. J’ai découvert la diversité des emplois qui existent et des parcours de mes interlocuteurs, même si finalement nombre d’entre eux ont fait un doctorat et pris une autre voie que celle de l’ESR. Leur trait commun était finalement leur intérêt pour ces questions, qui se déclinaient de façon différente selon leur emploi mais les conduisait à chaque fois à développer une compréhension et une vision originale.
Etes-vous, à la base, une personne pour qui la démarche réseau est naturelle ? Si non, comment avez-vous fait pour vous y mettre ?
Je suis une personne sociable, mais je ne suis pas pour autant familière de cette démarche. Jusqu’à présent, la démarche réseau appartenait à un autre monde, celui des gens qui ont fait une « école de commerce ». Je sais que c’est très réducteur, mais je n’avais pas du tout été ni familiarisée avec cette démarche, ni poussée vers cela. Cela ne s’est pas fait sans heurts, initialement je ne savais pas très bien comment m’y prendre, comment solliciter des rendez-vous avec des personnes dont la profession me paraissait intéressante. J’ai même pris pour un léger échec plusieurs rencontres durant lesquelles je ne voyais vraiment où pourrait être ma place dans le monde du travail. Et en même temps, le milieu qui m’intéressait étant assez restreint, un nouveau paysage professionnel s’est rapidement dévoilé à mes yeux et cela m’a également stimulée, et rendue curieuse de le découvrir.
Que pouvez-vous conseiller aux docteurs pour développer efficacement son réseau, tout en y prenant plaisir (et que ce ne soit pas vécu comme une contrainte), ou pour dépasser ses craintes et ses doutes ?
Le milieu de l’ESR contribue largement à maintenir un climat d’insécurité personnelle. On est souvent amené à se demander si l’on y a vraiment sa place, et si l’on est suffisamment à la hauteur. Après au moins 8 ans d’études supérieures, cette question est en réalité caduque, voire complètement hors-sujet. En construisant un réseau, l’objectif à mes yeux est avant tout de rencontrer des personnes qui sont intéressées voire passionnées par des sujets communs, et avec qui il sera stimulant d’échanger. C’est un peu comme de s’inscrire à un cours de théâtre ou une activité sportive ; c’est l’occasion de rencontrer des individus avec qui l’on a des intérêts communs et donc des choses dont on peut discuter.
Quelques conseils
Si vous deviez donner aux docteurs 3 conseils en 3 mots, quels seraient-ils ?
- le doctorat n‘est pas une fin en soi ; c‘est une étape dans la construction d‘un projet professionnel (qu‘il soit clairement formulé ou non), et une opportunité pour construire une vision fine de la société et du monde contemporain.
- le doctorat est un travail, dont le but n‘est pas d‘évaluer les capacités intellectuelles d‘un individu, mais bien de fournir une réflexion originale et inédite qui s‘additionnera à des connaissances déjà existantes. À partir du moment où l‘on commence une thèse, c‘est que l‘on touche une question qui n‘a pas encore été (complétement) exploré jusqu‘alors, et à laquelle il n‘y a pas de „bonnes“ ou de „mauvaises“ réponses a priori (en tout cas en sciences sociales!).
- comme tout travail, il peut être bénéfique de savoir pourquoi on le fait (par plaisir, par défaut, pour payer des factures, avec l‘objectif de participer au fonctionnement de la société etc…). On peut tous avoir des valeurs et des motivations différentes, mais plus elles seront claires pour soi-même, et plus il sera facile de construire un projet professionnel dans lequel on se sent bien.
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